Conférence internationale

2021

Co-organisation avec Peter Frei d’une conférence internationale « L’obscénité et ses médiations dans l’Europe de la première modernité » à l’Université de Californie, Irvine (27 février 2019)


Absent du vocabulaire d’un Rabelais, d’un usage toujours incertain chez un Montaigne, le mot « obscène » ne prend, en français, sa forme et son sens modernes qu’au seuil de l’âge classique dans la lutte contre ce qui serait, désormais, inacceptable, à mettre hors-scène (ob-scaena) selon une étymologie tout aussi contestée que productive de l’obscène. A travers l’obscénité – ses mots et ses images – se donne ainsi à lire comment le classicisme du XVIIe siècle français négocie l’héritage d’une Renaissance qui avait déjà cherché l’affirmation de sa modernité dans l’invention d’un temps autre, un « Moyen Age » disqualifié comme barbare et vulgaire, âge de toutes les perversions. Or entre ces deux moments charnières, l’automne du Moyen Age et le crépuscule de la Renaissance, s’opère précisément une reconfiguration en profondeur de la scène sur laquelle se produisent les mots et les images. Il s’agit, bien évidemment, de ce qu’il est convenu d’appeler la révolution de Gutenberg : l’invention de l’imprimerie et son impact sur la valeur d’usage, la production et la réception, la signification même d’un mot ou d’une image. Dans ce qui en ses figures relève d’une mise à l’épreuve de ce qui peut être dit ou montré, l’obscène peut se comprendre comme symptôme de ce qui se joue – esthétiquement certes, mais aussi socialement et politiquement – dans cette redistribution des cartes au premier âge de l’imprimé. L’obscène fonctionne comme problématisateur à la fois historique et critique de ce à quoi engage le geste de publier – qui ne se limite alors pas à l’impression de livres, mais, plus généralement, donne à penser la dimension publique d’un discours ou d’une représentation, c’est-à-dire avant même toute considération du contenu d’une parole ou d’une image sa performance qui fait voir, entendre. Si les expressions de l’obscène à la première modernité sont incertaines et dans leur forme et leur signification, c’est qu’elles participent d’une interrogation sur les modes de représentation à un moment où la culture occidentale imagine de nouveaux partages, à commencer par celui entre le public et le privé. Et c’est en cela que, loin de marquer une rupture avec un Moyen Age insensible à leur trouble, elles se font l’écho d’un questionnement que les écritures médiévales ont exploré dans des dispositifs textuels et visuels sur lesquels se greffera la réinvention du livre à l’âge de l’imprimerie. Que l’on pense au rôle central qui revient à la présence d’une parole vive dans la poétique médiévale que les fictions d’un passage de l’oralité à l’écriture expérimentent dans ses effets de sens, ouvrant une interrogation aussi bien sur la production que la réception d’images et de mots soumis au jeu de re– et défiguration d’une re-présentation. Le débat sur le Roman de la Rose au seuil de la Renaissance témoigne de l’inquiétude (et de la fascination) médiévale devant des signes en liberté qui deviennent alors une affaire publique.


C’est ces lignes de force qu’a permis de dégager la journée d’études Politiques de l’obscène : l’obscénité et ses médiations dans l’Europe de la première modernité qui s’est tenue à l’Université de Californie, Irvine le 27 février 2019 grâce au soutien du Thomas Jefferson Fund de la FACE Foundation et de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, de l’Institut universitaire de France ainsi que de Humanities Commons (UCI). De la hantise d’un corps (et d’un sens) jadis pleinement présent dans le tracé de la main du scribe et désormais réduit à une prothèse défigurante dans l’écriture imprimée selon les premiers théoriciens de l’imprimerie (Katie Chenoweth) au défi herméneutique d’une obscénité que nos regards modernes sont conditionnés à ne pas voir dans ce qui est censé relever de l’art (Christophe Litwin) en passant par le rôle critique que jouent, tant au seuil de l’âge classique qu’aujourd’hui, les « libertinages de langue » dans les efforts de conjurer la plasticité des mots et de leurs significations (Gilles Magniont), les figures de l’obscène à la première modernité ont été questionnées par rapport à leurs conditions de production matérielles et idéologiques, à l’exemple de l’usage programmatique d’images scandaleuses dans les écrits et les représentations à l’ère des guerres de religion (Georges Van Den Abbeele). La dimension proprement politique de l’obscène a également été au cœur des communications consacrées aux transgressions d’une parole autre, à l’instar de l’affirmation d’une autorité féminine chez Christine de Pizan (Lorna David) ou dans les fictions renaissantes interrogeant à travers des figures troubles le rapport à l’autre dans les relations diplomatiques de la première modernité (Antónia Szabari). Du réinvestissement des mots et des images de l’obscène médiéval dans le passage du manuscrit à l’imprimé, à l’exemple de l’histoire mouvementée de la nouvelle et de sa mise en recueil (Nelly Labère), à la réinvention de l’obscène à l’âge classique, la « politique de l’obscène » a ainsi retrouvé son socle historique et critique dans les renégociations, symboliques et matérielles, du partage entre privé et public à la première modernité (Jean-Christophe Abramovici)


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